Il faut produire. On ne sait pas trop pourquoi ni pour qui, mais nous devons produire. Toujours plus. Il n'y a pas de fin en ce qui concerne la production que nous devons atteindre. Lucien Bouchard l'a dit, nous ne travaillons pas assez. Et si Lucien l'a dit, ça doit être vrai.
Cette logique découle de la maximisation des profits et du principe de rentabilité, eux-mêmes découlant du capitalisme puis de la propriété privée des moyens de production. Autrement dit, la grande majorité de la population n'a aucun contrôle sur les biens produits, leur nature, leur quantité, leur qualité ou leur raison d'être. Puis la «richesse» qui découle de cette production, sera principalement accaparée par la minorité au pouvoir, celle-là même qui possède les moyens de production et qui prend toutes les décisions qu'elle désire à son égard. Le reste de la population se divisera les miettes qui restent, en respectant une certaine hiérarchie, ce qui lui permettra de racheter la merde qu'elle aura elle-même produite. C'est ce que j'appellerais un cercle imparfait.
Autrement dit, si Lucien Bouchard considère que nous ne produisons pas assez de richesses au Québec (temps de travail = productivité = profits), ce n'est pas par égard au bien-être de l'ensemble de la population du Québec, mais pour celui de la minorité des privilégiés de la province, dont il fait partie. Les riches ne sont pas assez riches.
Sauf qu'on se rend compte aujourd'hui que le productivisme nous mène tout droit vers une catastrophe sans précédent. C'est que les théoriciens de l'économie (libérale) du 19e siècle considéraient les ressources naturelles comme étant illimitées. Hors nous savons aujourd'hui que leur exploitation sans limite mène à l'épuisement des «matières premières» (comme les énergies fossiles par exemple), sans parler de la pollution des eaux et atmosphérique, de la déforestation puis du réchauffement climatique, tous des phénomènes de plus en plus alarmant et qui découle directement de la logique productiviste.
Le principe de la quantité prime désormais sur la qualité. Tel fast-food vous donne peut-être des portions de plus en plus généreuses, mais si la nourriture est de plus en plus infecte (riche en calories, bourrée d'OGM, encourage l'exploitation animale, contient des résidus de pesticides, des traces d'hormones et quoi encore), peut-on vraiment parler de progrès? Est-ce que le client en a vraiment de plus en plus pour son argent? Est-il normal que vos électoraux ménagers vous pètent dans la face après 5-6 ans, alors que ceux-ci duraient 20 ans auparavant? Est-il nécessaire d'avoir un ordinateur neuf à chaque année? Ceux-ci sont de plus en plus performants, mais où cela va-t-il s'arrêter? Si ces biens de consommations sont devenus si éphémères ou sont passés date peu après leur achat, on s'aperçoit que le principe de rentabilité ne s'applique pas aux consommateurs et consommatrices. On nous chie une nouvelle console vidéo au 6 mois et vous devez vous la procurez, l'ancienne étant désormais «périmée» et les compagnies ne produisant plus de jeux pour cette même console...que vous avez pourtant acheté il y a à peine 3 ans. On passe des VHS aux DVDS, on introduit la télé HD, mais je me pose encore la question à savoir de quoi ils parlent avec leur qualité d'image rehaussée. Et puis on vous force de plus en plus à acheter, sous peine d'être exclu de l'utilisation des biens que vous utilisiez auparavant et qui fonctionnaient de manière tout à fait adéquate pour vos besoins.
Le productivisme a aussi des conséquences sur les services rendus à la population. On tente d'en faire toujours plus, avec moins d'employéEs. C'est la qualité des services qui en souffrent, comme on le voit avec plusieurs biens de consommation. Une infirmière qui fait 4 ou 5 heures d'overtime dans une journée ne sera pas aussi efficace à la fin de son «quart», de la même manière qu'un professeur qui donne un cours à 100 élèves ne peut répondre à toutes les questions, comme il ne peut accorder autant d'aide à certains ou certaines élèves que s'il avait à gérer une classe de 30 étudiantEs.
L'art s'en voit également affecté. Un groupe X ou Y doit produire un album après un certain temps et ce à cause de ses obligations envers sa maison de disques. Il a tel nombre de temps pour produire X nombres de chansons. Hors, on ne peut forcer l'inspiration, elle vient à nous. Au final, le productivisme réduit la qualité de la musique, comme celle des films, des livres , etc. 1984 ne s'est pas écrit sur un coin de table à la va vite.
Le productivisme touche même la blogosphère. On s'attend à ce que vous écrivez X nombre de billets par mois, par semaine ou même par jour (surtout si on vous paie pour le faire) et si vous ne le faits pas, vous devenez impertinent. Vous pouvez dires des sottises comme Richard Martineau et avoir une opinion ridicule et intenable sur tout et n'importe quoi, l'important c'est que vous livrez votre «pensée» à toute heure du jour ou de la nuit, peu importe le sujet ou la rigueur de vos propos. On évalue souvent (à tord) la qualité d'un blogueur au nombre de commentaires qu'il reçoit, alors que j'ai parfois l'impression que la qualité de ce qui est écrit est inversement proportionnel à l'attention qu'on lui accorde. Peut-être parce que les gens aiment se reconnaître dans les écrits d'autrui ou aime la facilité, ce qui se lit bien, vite et qui ne demande pas de réflexion. On peu alors commenter le billet avec un «lol» bien placé (quoi qu'on pourrait argumenter qu'un lol est toujours déplacé) et y aller d'une anecdote personnelle «croustillante». Plus difficile à faire après un billet interminable sur le productivisme.
Et pour renforcer l'idée qu'un blog peut être très intéressant sans recevoir d'attention outre mesure, celui-ci est excellent et personne ne le lit!