lundi 30 mars 2009

L'économie participative,quatrième partie

Nous entrons maintenant dans le model économique à proprement parlé. Il est possible que tout ne soit pas tout à fait clair, donc il y aura vraisemblablement un autre billet sur le sujet. Celui-ci porte sur les conseils ouvriers, le partage des tâches de façon équitable puis les conseils de consommation.


«Ensemble équilibré des tâches

La proposition est au fond fort simple. Au sein des lieux de production d’une Écopar, personne n’occupe à proprement parler un emploi, du moins au sens où ce terme est entendu d’ordinaire. Chacun s’occupe plutôt d’un ensemble de tâches, lequel est comparable, du point de vue de ses avantages, de ses inconvénients ainsi que de son impact sur la capacité de son titulaire à prendre part aux décisions du conseil de travailleurs, à n’importe quel autre ensemble équilibré de tâches au sein de ce lieu de travail. De plus, tous les ensembles de tâches qui existent au sein d’une société fonctionnant selon l’Écopar seront globalement équilibrés et il arrivera même, pour ce faire, que des travailleurs aient à accomplir des tâches à l’extérieur de leur lieu de travail.
Les créateurs de l’Écopar consacrent beaucoup d’espace, d’énergie et d’ingéniosité à défendre cette idée, à montrer qu’il est non seulement souhaitable en théorie mais également possible et efficient en pratique de balancer de la sorte les tâches de production qui sont accomplies au sein d’une économie. Plus précisément, leur argumentaire tend à montrer que cette manière de faire est efficiente, équitable et assure le respect de valeurs préconisées — à commencer, bien évidemment, par l’autogestion, dont elle est une condition nécessaire. Deux arguments sont le plus souvent invoqués contre cette pratique. Je voudrais les rappeler ici afin de montrer comment y répondent les partisans de l’Écopar. 10

Selon un premier argument, s’il est plausible de penser, comme incite d’ailleurs à le faire une imposante littérature, que le fait de permettre aux travailleurs d’avoir un mot à dire sur leurs tâches accroît l’efficience du travail et sa désirabilité aux yeux de qui l’accomplit, la proposition de construire des ensembles équilibrés de tâches va bien au-delà et néglige deux éléments capitaux du problème: la rareté du talent ainsi que le coût social de la formation. Partant, cette proposition serait inefficiente. Cet argument est souvent appelé celui du "chirurgien qui change les draps des lits de son hôpital" — c’est sous cette forme qu’il est d’abord apparu.

Certes, le talent requis pour devenir chirurgien est sans aucun doute rare et le coût social de cette formation élevé. Il y a donc bien une perte d’efficience à demander au chirurgien qu’il fasse autre chose que des opérations chirurgicales. Cependant, il est également vrai que la plupart des gens possèdent des talents socialement utiles et dont le développement implique un coût social. Une économie efficiente utilisera et développera ces talents de telle sorte que le coût social de l’accomplissement des tâches routinières et moins intéressantes dépendra peu de qui les réalise. Il ne s’ensuit donc pas des prémisses accordées que le fait pour un chirurgien de changer des draps présente un coût social global prohibitif.

Un autre argument couramment employé contre les ensembles équilibrés de tâches veut que la participation promue par cette procédure s’exercera au détriment de l’expertise et de la part prépondérante qui lui revient nécessairement dans la prise de décisions — en particulier si les sujets débattus sont complexes. En fait, l’Écopar ne nie aucunement le rôle de l’expertise. Mais si cette expertise est précieuse pour déterminer les conséquences des choix qui peuvent être faits, elle demeure muette quand il s’agit de déterminer quelles conséquences sont préférées et préférables. Si l’efficience suppose que des experts soient consultés sur la détermination des conséquences prévisibles des choix — en particulier lorsque ceux-ci sont difficiles à déterminer — elle exige aussi que ceux qui auront à les subir fassent connaître leurs préférences.

Décision décentralisée
Ce que de tels lieux de travail produiront sera déterminé par les demandes formulées par des conseils de consommation. Chaque individu, famille ou unité, appartient ainsi à un conseil de consommation de quartier; chacun de ces conseils appartient à son tour à une fédération parmi d’autres, lesquelles sont réunies en structures de plus en plus englobantes et larges, jusqu’au conseil national.


Le niveau de consommation de chacun sera déterminé par la troisième maxime distributive, à savoir le paiement selon l’effort, lequel est évalué par les collègues de travail.
De même, le mécanisme d’allocation consiste en une planification participative décentralisée. Des conseils de travailleurs et des conseils de consommateurs avancent des propositions et les révisent dans le cadre de ce processus qui a fait l’objet d’un travail considérable de la part des créateurs de l’Écopar, qui ont été jusqu’à en construire un modèle formel. Ils y font notamment usage de procédures itératives, proposent des règles de convergence et montrent comment des outils de communication comme les prix, la mesure du travail ainsi que des informations qualitatives peuvent être utilisées pour parvenir à un plan efficient et démocratique. Albert et Hahnel considèrent en fait que leur "spécification de cette procédure constitue (leur) plus importante contribution au développement d’une conception et d’une pratique économique libertaire et égalitaire. " 11 »

Certaines notions de l'économie participative ne sont pas présentées (à moins que je ne radote) telle que l'idé d'une rénumération selon l'effort. L'idée d'Albert est que le talent étant inné, on ne peut pas rénumérer quelqu'un sur cette base, puisque la personne n'a rien fait pour obtenir ces qualités. Ce serait inéquitable. L'effort devient donc la seule façon juste de partager les fruits du travail.

Une autre idée majeure d'Albert mérite plus d'attention, mais je vais y revenir dans un prochain billet.

L'économie participative, troisième partie

Bon je sais que je fais preuve de paresse en faisant ainsi du copier coller de l'article de Baillargeon (http://kropot.free.fr/Baillargeon-ecopar.htm), mais n'ayant toujours pas soulevé d'interrogations chez mon lectorat, je ne vois pas à quoi bon faire un effort intellectuel plus poussé.

«Production, Propriété, Consommation

Qu’en est-il à présent des institutions de consommation et de production? Cette fois encore, c’est à la lumière des critères évaluatifs mis en avant par l’Écopar qu’il convient de les jauger afin de décider si celles qui existent pourraient convenir à une économie participative.

La propriété privée est le premier candidat au titre d’institution de production. Dans son acception libérale, la liberté d’entreprendre et le droit de jouir sans entrave des fruits de son activité sont considérés conjointement comme étant fondamentaux — voire naturels, du moins dans les versions naturalistes du libéralisme. Cette liberté économique serait en outre au cœur des libertés politiques. Les critères évaluatifs que nous avons rappelés nous indiquent déjà que l’Écopar, optant pour une définition de la liberté économique entendue comme autogestion, refuse la propriété privée des moyens de production, qui mine à la fois cette autogestion, la solidarité et l’équité — dans la mesure où elle ne rémunère pas selon l’effort et adopte plutôt la première maxime distributive.

Enfin, au nom de l’équité et de la solidarité, une économie participative refusera aussi toute organisation hiérarchique du travail, fut-elle instaurée au sein de lieux de production qui seraient détenus collectivement. Reste à faire la preuve que la production peut demeurer efficiente tout en étant non-hiérarchique — nous y reviendrons.

Terminons par un examen des institutions de consommation. Les économies existantes ne leur consacrent que très peu d’analyses et l’acceptation de caractéristiques hiérarchiques dans la production induit l’acceptation d’une consommation inégalitaire. Une économie participative proposera donc des institutions et des relations de consommation non-hiérarchiques, permettant une participation équitable à la production.

Le problème de la production, tel qu’il se pose à une économie participative, est essentiellement d’assurer une démocratie participative dans les lieux de travail. Démocratie par laquelle sont exclues les relations hiérarchiques et respectées les critères évaluatifs mis de l’avant par une telle économie tout en assurant que chacun sera en mesure de prendre une part réelle et significative dans les prises de décision.

Cette fois encore, je suis contraint d’aller rapidement à l’essentiel, pour en arriver directement, par-delà l’argumentation qui y conduit, à l’idée de Balanced Job Complex, concept que je propose de rendre par "ensemble équilibré de tâches". Il s’agit ici d’une des innovations majeures de l’Écopar. »

Mon prochain billet portera davantage sur ce qu'est l'économie participative en tant que telle, alors que les précédant avaient pour but essentiel d'expliquer la raison d'être d'un nouveau model économique.

Pour une bonne cause

Je n'ai pas parlé de la manifestation du 15 mars contre la brutalité policière (en fait j'avais totalement oublié cette date), alors je vous redirige vers ce lien qui démontre selon moi l'utilité de la manif en soit et la preuve d'abus policiers à Montréal.

http://www.youtube.com/watch?v=wQI72uqTcqg

samedi 28 mars 2009

L'économie participative, deuxième partie

Entre deux ou trois recherche d'emplois, je poursuis donc ma série de billets sur l'économie participative. Je me demande l'intérêt de la chose, mon premier billet sur le sujet n'ayant pas suscité de réactions et les gens pouvant toujours aller lire le texte dont je me base pour faire ces billets (http://kropot.free.fr/Baillargeon-ecopar.htm), mais bon.

Après avoir présenté les valeurs sur lesquelles se basent l'économie participative, voici le point de vue d'Albert à propos du marché et de la planification centrale.

«Ni marché ni planification centrale

La critique du marché occupe une part importante du travail préalable accompli par les auteurs. Au terme de ce travail, ils concluent que loin d’être cette institution socialement neutre et efficiente dont on vante parfois les mérites, le marché érode inexorablement la solidarité, valorise la compétition, pénalise la coopération, ne renseigne pas adéquatement sur les coûts et bénéfices sociaux des choix individuels (notamment par l’externalisation), suppose la hiérarchie du travail et alloue mal les ressources disponibles. Pour résumer plus simplement cette position à laquelle les auteurs parviennent, voici ce que me déclarait Michael Albert, lors d’un récent entretien: "Le marché, même à gauche, ne fait plus guère l’objet d’aucune critique, tant la propagande a réussi à convaincre tous et chacun de ses bienfaits. Je pense pour ma part que le marché est une des pires créations de l’humanité. Le marché est quelque chose dont la structure et la dynamique garantit la création d’une longue série de maux, qui vont de l’aliénation à des attitudes et des comportements antisociaux en passant par une répartition injuste des richesses. Je suis donc un abolitionniste des marchés, — même si je sais bien qu’ils ne disparaîtront pas demain — , mais je le suis de la même manière que je suis un abolitionniste du racisme."

La planification centrale, comme institution d’allocation, ne passe guère mieux le test que lui font subir nos cinq critères évaluatifs. Pour qu’un système d’allocation par planification centrale soit efficient, on reconnaît généralement qu’il doit satisfaire à un certain nombre de contraintes préalables. En particulier, les décideurs doivent connaître et maîtriser l’information nécessaire pour effectuer les calculs permettant l’élaboration du plan et pouvoir imposer les incitatifs qui assureront que les agents économiques accompliront leurs tâches respectives. La plupart des économistes contemporains refusent d’accorder ces préalables et conviennent avec Von Mises et les néoclassiques que l’impossibilité de les concéder en théorie signe l’impossibilité pratique des économies de planification centrale. Albert et Hahnel montrent pour leur part que même si on accorde ces improbables prémisses, de telles économies seront toujours inacceptables du point de vue des critères évaluatifs qu’ils proposent. Si le marché détruit systématiquement la solidarité, la planification centrale détruit systématiquement l’autogestion, empêche la détermination par chacun de préférences personnelles qui prennent en compte de manière raisonnable les conséquences sociales de ses choix. Au total, la planification centrale promeut la montée d’une classe de coordonnateurs en plus de générer de bien piètres résultats.

Si cette analyse est juste, ni le marché ni la planification centrale ne peuvent générer des résultats qui soient conformes aux critères évaluatifs avancés. Il faut donc inventer une nouvelle procédure d’allocation: ce que se propose justement l’Écopar. »

C'est donc sur la base des valeurs présentées dans le premier billet sur ce sujet, qu'Albert et Hahnel rejette le marché puis la planification centrale. Nous vivons bien entendu dans une économie de marché et la planification centrale est le modèle que suivait l'URSS. La classe des coordonnateurs sont les Bolcheviks qui ont pris le pouvoir après la révolution d'octobre en 1917. C'est une classe dont Marx ne parle pas dans son modèle du prolétariat contre la bourgeoisie et dont Albert nous invite à nous méfier.

Si la condamnation de la planification centrale ne suscite pas de réactions (dans la mesure où je ne connais pas personne de la blogosphère qui en fait la promotion), l'abolition du marché a le potentiel d'enclencher un certain débat, surtout du côté de mon collègue sur http://anarchopragmatisme.wordpress.com/ et certains de ses lecteurs (et lectrices?).

Mais dans le mesure où je doute que ces gens là me lisent....

Ce qui remplacerait le marché sera également plus clair dans mes prochains billets sur l'économie participative.

Je tiens à préciser que si je défends l'idée d'avoir une vision d'une société meilleure, je ne prétend pas détenir la clef de l'énigme et d'avoir trouvé La Solution. Cette vision est matière à discussion et doit être remise en question, comme n'importe quelle proposition de changement.

Toujours faut-il vouloir en discuter et en débattre.