Le présent billet m'est inspiré par la très populaire Anne Archet et mes comparses anarchistes. Elle rejette l'idée d'un système utopique, car ce serait « un mode d’emploi pour une société à assembler comme un meuble IKEA». Elle est contre «les faiseurs de système». Elle accuse les gens de manquer d'imagination, mais elle refuse de faire l'effort d'imaginer une alternative crédible à l'État et au capitalisme. Joli tour de passe-passe. Elle avance des idées et des concepts (comme la fuite ou abolir la société), mais elle refuse de détailler ses idées, ce qui serait un sacrifice. C'est à nous d'utiliser notre imagination, pas à elle.
Cela me rappelle une militante que j'ai connu et qui me dit en me montrant ses lunettes qu'il était impossible de prévoir les résultats d'une révolution, car c'est un phénomène essentiellement imprévisible. Hors si l'on ne peut tout prévoir dans ses moindres détails, il me semble qu'il est à tout le moins possible d'avoir un projet de société, une ébauche de ce que l'on désire à présenter aux gens.
Selon moi si les idées anarchistes les plus radicales n'ont pas progressé depuis le 19e siècle, c'est à cause de ce manque de vision qui caractérise ce courant de pensée. Comment espérer que les gens nous suivent dans cette grande aventure, si on est incapable de leur expliquer vers quoi nous voulons aller? C'est comme de répondre par un haussement d'épaules à des gens qui nous demanderait leur chemin.
Pour reprendre les propos de Michael Albert, les gens croient que le système capitaliste est inévitable, qu'il n'y a pas d'alternative. Pourquoi se battraient-ils contre alors? Même en s'époumonant à décrire ses tors, si les gens ne croient pas pouvoir changer le système, ils ne feront rien pour le changer.
Ce serait comme de leur demander de se battre contre le vieillissement qui pourtant est fatal pour l'être humain.
dimanche 9 août 2009
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5 commentaires:
Puisque je suis interpellée, aussi bien répondre.
Si j'expliquais exactement quoi faire, comment le faire, avec qui et à quelle heure, je ferais de la politique et j'agirais comme idéologue; autrement dit, je poserais la prépondérance de l'idée sur le réel. Il faut distinguer l'anarchie (l'état d'être) de l'anarchisme (l'idéologie); je ne suis pas anarchiste et je me moque de l'idéologie.
Évidemment que j'ai ma petite idée sur la façon de vivre hors du travail et des autres dispositifs de pouvoir. Mais qui suis-je pour dire que ma subjectivité est meilleure que la vôtre? Le but ici n'est pas de dire aux autres quoi faire mais les inciter à l'action, ouvrir la porte des possibles pour que tous puissent, selon leurs propres termes, se réapproprier leur propre vie. Et l'imagination fait partie de l'action.
Les gens sont passifs. Ils le sont parce que le système l'exige. L'anarchie exige des individus actifs; si je dis aux autres quoi faire, je suis non seulement présomptueuse, mais je contribue à la passivité générale. Si j'étais politicienne, ce serait autre chose: j'élaborerais un programme avec une solution à tous les problèmes. Ensuite, je simplifierais à l'extrême pour convaincre le plus d'individus possible. Et finalement, j'agirais pour saisir le pouvoir et imposer ce programme pour le plus grand bonheur de tous. Le problème, c'est que tout ça n'a rien à voir avec l'anarchie.
Les anars ne manquent pas de vision, car la leur est celle d'un état d'existence débarrassé des institutions de domination hiérarchique, où tous les individus ont la possibilité d'aller au bout de ce qu'ils peuvent être. Mais réaliser cette vision exige que les gens explorent leurs propres désirs pour les réaliser; penser à leur place est suprêmement contre-productif.
Les solutions avancées par les théoriciens anarchistes depuis deux siècles sont nombreuses; libre association, communisme libertaire, mutuellisme, etc etc etc. Il se trouve que lorsque l'insurrection se produit, les premiers surpris sont... les anarchistes. Ils ont même souvent peur des mouvements spontanés qui mettent en application leurs propres principes, mais d'une façon qu'ils n'avaient pas prévus.
L'anarchie se vit et s'expérimente. Il faut émettre les principes, exprimer nos désirs et ensuite se lancer. Cela vaut mieux que n'importe quelle dissertation sibylline sous couvert de rigueur théorique.
Je ne pense pas qu'avoir un ou des projets de société exigent leurs impositions. Les gens sont toujours libre d'y adhérer ou pas. Et prendre position ou définir en quoi consiste notre vision d'un monde meilleur ne signifie pas qu'on détient la vérité ou que nos idées sont meilleures que celles des autres. Le but en décrivant nos idées ou nos désirs c'est justement d'entrer en discussion avec les gens, d'échanger nos idées afin de bâtir quelque chose de nouveau collectivement. C'est impossible si on se refuse à entrer quelque peu dans les détails de notre pensée.
Bien sûr si on ne croit en aucune forme d'orginasiation (je ne dis pas que c'est votre cas), cela devient inutile. Hors on ne m'a pas encore convaincu que la vie était possible en dehors de la société.
Voilà le nœud du problème. La discussion ne sert à rien si elle ne se situe pas au niveau des problèmes réels et concrets — problèmes qui ne peuvent que se présenter dans l'action, par l'expérience.
Par exemple, je trouve oiseux de discuter de la collecte des ordures dans un monde idéal libertaire pendant sa pause café, avant de retourner bosser. On ne sait même pas si dans un monde post-consommation on aura effectivement besoin de collecte de déchets — ce n'est que lorsque nous serons effectivement confrontés au problème dans la réalité que nous pourrons y faire face; en attendant, c'est chercher des solutions imaginaires à des problèmes hypothétiques.
Mais bon, c'est probablement une question de stratégie qui nous sépare. Les anars qui sont révolutionnaires ont besoin de se préparer un plan post-révolution car ils préparent le grand chambardement et ne veulent pas se faire prendre les culottes baissées lorsqu'ils se produira. Et les anars éducationnistes travaillent à convaincre les gens du bienfondé de l'anarchie — et les mécréants ont besoin d'être convaincus dans les détails pour adhérer à la foi.
En ce qui me concerne, je préfère l'insurrection, c'est-à-dire dégager des espaces et des temps tout de suite et maintenant pour vivre l'anarchie, sans attendre que tous et chacun aient le désir de vivre sans contrainte, même si ses temps et ces espaces sont limités et éphémères.
On apprend à rouler à vélo qu'en l'enfourchant, pas en discutant sur le nombre de dents du dérailleur.
J'ai répondu à ça chez moi. Généralement, je suis d'accord avec Anne Archet dans ce débat.
Je suis contrarié par le sort parce que j'ai l'impression de jouer au perroquet d'Anne Archet depuis quelques semaines (et je vous jure que c'est par accident, j'ai pas lu ses anciens textes).
Mais je dois quand même avouer que je suis seulement partiellement d'accord avec toi, Bakou. En ce qui me concerne, je pense que l'avantage d'une révolution anarchiste serait de permettre à plusieurs types de sociétés libres (avec différentes organisations) de voir le jour. Dans cette optique, je crois qu'il ne doit pas y avoir de modèle unique avec un petit manuel qui montre les trous de vis avec des flèches pis des numéros.
Pour cette raison j'ai des projets très nombreux et ma propre utopie (j'en fais mention dans ma naïve série d'articles "Comment l'anarchie est-elle possible") me semble assez différente de ce qu'imaginaient Proudhon, Bakounine ou Kropoptkmachin, qui ne proposaient pas par exemple - et à mon grand regret - de tirer profit des protéines contenues dans les insectes et de chier des champs de tomates.
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